Le Sel De La Mer © Jules (2004)

I.

Simon Ghalihal était assis à son bureau, faisant tourner sensiblement son siège dans un sens, puis dans l’autre. Il tapotait nerveusement son carnet de note avec son crayon, battant ainsi le défilement des secondes qui s’écoulaient paisiblement, à leur rythme, dans le cadre de l’horloge murale du grand hall. Il était presque cinq heures. Les clients commençaient à se faire rare à la banque. Une journée comme les autres. Les yeux de Simon étaient fixés à cette horloge et bizarrement, son regard ne reflétait qu’une intense curiosité, comme si une seule question envahissait son esprit : la petite aiguille allait-elle enfin battre la grande ?
Une porte qui claque, un bruit de pas. Rapidement, avec dextérité, Simon se redressa sur sa chaise, ouvrit un tiroir, en sortit un imposant dossier, l’ouvrit à une page définie, et commença à remplir un formulaire. Michel Carattier entra dans le bureau, trouvant son employé en train de travailler, et ce jusqu’à la dernière seconde de cette paisible journée. Sa voix rauque raisonna dans le hall comme la détonation d’un canon.
« Ghalihal ! Dieu merci, vous êtes encore là !
Remarque inutile, puisque Simon ne quittait jamais son travail avant l’heure.
« J’ai besoin de vous pour traiter ce dossier. C’est d’une extrême importance, la direction en a besoin pour demain impérativement. Vous pouvez vous y mettre tout de suite ?
Simon entama piteusement un murmure de protestation.
- Ecoutez, monsieur Carattier, ça fait déjà deux fois cette semaine et…
L’air de Carattier se fit plus grave.
- Refuseriez-vous de faire ce travail ?
- Ce n’est pas que je refuse, et si vous me l’aviez donné plus tôt dans l’après-midi, je l’aurais fait avec joie, mais il est cinq heures…
- Vous n’êtes plus étudiant, Ghalihal ! Vous pouvez quand même faire quelques heures supplémentaires !
- Mais monsieur… J’ai déjà dépassé mon quota d’heures supplémentaires pour ce mois…
- Et alors ? Vous êtes le seul qui puissiez traiter ce dossier ! Vous ne voulez quand même pas que je m’y mettes moi-même, alors que mon bureau est déjà plein de dossier à étudier !?
S’il y a tant de dossiers dans ton bureau, c’est que tu passes ton temps à regarder par la fenêtre, pensa Simon.
Il baissa la tête vers le dossier qu’il était en train de remplir. Une femme arriva derrière monsieur Carattier. Elle voulait manifestement poser une question, mais celui-ci reprit :
- Si vous refusez d’effectuer ce travail, je serais obligé d’en référer à la direction, Ghalihal !
L’habituelle menace… Simon n’avait plus la force de protester. Il fit un vague geste de dénégation, mais le dossier avait déjà pris place sur son bureau, et Carattier avait disparu dans un claquement de porte. La femme s’avança dans le bureau. Simon remarqua qu’elle était plutôt jolie, la trentaine, ses cheveux blonds lui masquant un peu le visage. Il secoua négativement la tête, de dépit.
- Désolé madame, je suis débordé. Adressez-vous à mon collègue, s’il vous plait. »
Elle eut un sourire d’excuse et partit vers le bureau que Simon lui indiquait. Celui-ci ouvrit le dossier avec appréhension et son visage fut marqué par le choc. Ça allait lui prendre deux heures, au mieux. Ce n’était pas encore un jour où il serait chez lui à l’heure prévue.
« Un petit désagrément vaut parfois mieux qu’un grave accident » avait dit Jules Barrish, son auteur préféré. C’était une journée comme les autres. Malheureusement.

II.

« Central ? Ici l’inspecteur Vincent Proyas. Je suis actuellement au Centre Hospitalier. L’homme que nous avons repêché au port s’appelle Simon Ghalihal, il a quarante-deux ans d’après son passeport. C’est un homme de taille moyenne, brun et…
- Inspecteur ?
Proyas fit volte-face. Une infirmière venait d’entrer dans la pièce.
- Je vous rappelle, central.
Il rendit son talkie-walkie à son équipier, plongé dans la lecture d’un magazine. La salle d’attente de l’hôpital était pratiquement vide à cette heure-ci.
- Oui ?
- L’homme que vous avez amené vient de reprendre connaissance.
L’inspecteur lança un rapide coup d’œil à l’horloge murale. Seulement vingt et une heures.
- Bien. Passez devant, je vous suis. »
L’infirmière le précéda le long des couloirs aseptisés du service des urgences. Vincent détestait ces couloirs, avec leur blancheur soit disant irréprochable, contrastant avec le sang que cachaient les murs… Et cette odeur insupportable de détergent, vous montant à la tête… L’infirmière ralentit le pas, ouvrit une porte et lui laissa le passage. Vincent lui lança un rapide « merci » en passant devant elle et alla directement s’asseoir dans un coin de la chambre, près de la fenêtre. La porte se referma lentement. Le regard de Vincent s’arrêta sur le lit. Son occupant ressemblait à tout à chacun, à part peut-être un léger excédent pondéral. Ses yeux étaient fixés sur le mur qui lui faisait face.
« Monsieur Ghalihal ?
L’homme tourna la tête vers lui.
- Vous vous souvenez de moi ? Reprit Vincent.
Simon hocha timidement la tête.
- Qu’est-ce qui s’est passé Simon ? Je peux vous appeler Simon ?
Nouveau hochement de tête.
- Comment vous êtes vous retrouvé dans l’eau avec votre voiture ?
Simon hésita.
- Je… C’est…
- N’allez pas trop vite. Reprenez depuis le début si vous le souhaitez.
Simon laissa échapper un soupir puis commença, d’une voix monocorde :
- C’est idiot. J’ai quitté mon emploi comme tous les jours, vers dix-neuf heures trente. J’ai fait quelques heures supplémentaires et j’étais vraiment fatigué. Dans ces cas-là, j’aime bien faire un tour au port, avant de rentrer chez moi. J’ai garé ma voiture sur un ponton, et j’ai dû m’assoupir, en oubliant de serrer le frein à main…
- Un simple accident ?
Simon hocha vivement la tête. L’inspecteur soupira à son tour.
- Vous êtes marié, je crois… Vous voulez qu’on appelle votre femme ?
- Non… Non, laissez, je vais m’en occuper. Quand pourrais-je sortir ?
- Bien, si ce n’était qu’un simple accident…
Pas de réaction.
- … Vous pourrez sortir dès que le médecin repassera. Merci de votre coopération.
- Merci à vous. Au revoir. »
L’inspecteur sortit et referma doucement la porte derrière lui, perplexe. Il sortit une cigarette de sa poche et la porta à sa bouche.
« Tss… Il est interdit de fumer ici.
Il se retourna. L’infirmière était toujours là, adossée contre le mur. Mais elle était maintenant habillée de façon normale. Elle devait avoir fini son service.
- Je sais, je m’apprêtais à sortir.
- Et lui ? Dit-elle en désignant la porte close.
- Il sortira probablement ce soir.
Elle baissa la tête, prise par quelques réflexions. Vincent prit le temps de l’observer. Elle devait avoir vingt-cinq ans, rousse, avec de grands yeux verts.
- Ça vous dirait d’aller prendre un verre ?
Vincent resta un instant sans comprendre. C’est lui qui avait dit ça !
- D’accord. »
Ils avancèrent le long du grand couloir blanc, en discutant agréablement jusqu’à la sortie.

III.

Simon se gara juste devant l’entrée, une place rarement libre en pleine semaine. Il descendit lentement de sa voiture, sortit une clef de sa poche et pénétra à l’intérieur de l’immeuble. Il avança dans le couloir jusqu’à la porte d’entrée de son appartement, qu’il ouvrit avec précaution, se préparant au pire. Il déposa sa mallette à l’entrée, retira sa veste et passa au salon. Celui-ci était plongé dans la pénombre, seulement éclairé de temps à autre par l’image de la télévision. Sophie, sa femme, regardait une de ses émissions. Elle ne lui adressa même pas un regard, son visage restant de marbre.
« C’est maintenant que tu rentres ?
Son ton était glacial, comme à l’accoutumée. Simon se passa une main sur le visage.
- J’ai dû faire quelques heures supplémentaires, pour finir un dossier important.
- Tu t’es encore fait avoir ?
- Arrêtes, Sophie… Je suis trop fatigué pour en discuter avec toi…
Elle se leva et vint se planter devant lui.
- Simon, on en a déjà discuté, tu rentres tard tous les soirs… ça suffit !
- Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Que je plaque mon boulot ?
- Pour que tu ne trouves rien d’autre et que tu restes ici sans rien faire toute la journée ? N’y penses même pas !
Simon sortit une bière du réfrigérateur et bu presque tout son contenu d’un coup.
- Tu devrais prendre ta vie en main ! Prendre des décisions !
Voyant que son mari ne réagissait pas, elle prit le vase qui était posé sur la table du salon et le lança par terre. Ses débris se répandirent dans toute la pièce. Elle se retourna, murmurant pour elle-même.
- Je ne sais même pas pourquoi je continue avec toi…
Simon reposa violemment sa bouteille.
- Tu sais quoi ? Tu as raison ! Je devrais prendre ma vie en main ! Et tant qu’on y est, je ne vois pas non plus pourquoi je reste avec toi ! »
Il passa devant sa femme, médusée, prit sa veste, et sortit de l’appartement en claquant rageusement la porte.

La nuit était finalement tombée, envahissant de ses ténèbres toutes les rues de Cherbourg. Simon se pencha sur son volant, alluma ses feux, essayant de discerner la mer, devant lui. Il adorait venir contempler l’eau calme du port, lorsqu’il était fatigué. Fatigué… Un euphémisme incroyable par rapport à ce qu’il ressentait réellement. Le port était complètement désert à huit heures. A croire que, quoiqu’il fasse, il se retrouverait toujours seul.
« La solitude n’est qu’un ensemble de circonstances permettant d’être soi-même » disait Jules Barrish. Mais comment savoir qui on était, sinon par rapport à l’opinion des autres ? Par rapport à ses actes ? La vie de Simon était pitoyable… Un boulot qu’il détestait, une vie de couple qui ne cessait de se détériorer avec le temps… Il reposa la tête contre son siège et éteignit ses feux. Lui, Simon Ghalihal, avait une vie à laquelle une mort semblait préférable, et de loin. Il desserra le frein à main. Lentement, de façon à peine perceptible, la voiture commença à rouler doucement vers l’avant du ponton. Le clapotis des flots se fit légèrement entendre à mesure que la voiture pénétrait dans l’eau. Il ne faudrait que quelques instants… Tout ce qu’avait à faire Simon, c’était s’endormir paisiblement. Quelques minutes passèrent. Le contact de l’eau le surpris. Elle était si froide… Elle lui arrivait déjà à la taille. Simon eut un sourire. Comme c’était facile…
Boommm. Simon ouvrit les yeux et tourna rapidement la tête vers sa porte. Un homme se tenait à côté de la portière, tentant de l’ouvrir. Il venait de frapper à la vitre et il lui faisait maintenant de grands signes.
Même ça, je ne suis pas libre d’en décider, songea amèrement Simon.
Il ouvrit la portière, et avant que l’eau n’ait rempli la totalité du véhicule, son sauveteur l’avait déjà sortit de l’habitacle et tiré en sécurité, sur le ponton.
« Il est conscient ! Appelle une ambulance !
Une seconde voix se fit entendre, un peu plus loin.
- Allo, central. Envoyez tout de suite une ambulance…
Simon regarda son sauveteur droit dans les yeux. Il était brun, la trentaine.
- Ne craignez rien, je suis l’inspecteur Proyas.
L’autre homme s’approcha.
- Heureusement qu’on passait dans le coin ! »

IV.

La veille, il sentait l’eau lui monter doucement le long du corps, sachant pertinemment que le fait de s’enfoncer dans les flots le tuerait à coup sûr. Ce qui était étrange, c’est qu’il éprouvait approximativement la même sensation à être assis dans le bus, faisant face à cette marée humaine qu’on appelait la population active. Simon tourna la tête avec dégoût. Ces gens, il ne les connaissait pas. Il n’avait aucune envie de faire leur connaissance. Ils étaient tous pareils à lui, incapable de faire face au monde sans entrer dans un moule.
« Il ne faut jamais oublier que les personnes qu’on a en face de soi ne sont qu’un miroir de notre être ». Ce Jules Barrish avait réponse à tout. Le siège qui faisait face à Simon était inoccupé. Etait-ce cela qu’il devait voir, son propre vide ? Une larme roula sur sa joue, il l’essuya d’un geste vif. La vie, la mort… Que doit-on faire quand rien ne fonctionne ?
Une femme qui venait de monter dans le bus s’arrêta à quelques mètres de lui, l’observant fixement. Lentement, Simon tourna la tête jusqu’à ce que leurs regards se croisent. La femme avança vers lui d’un pas hésitant, et s’assit, sans que leurs yeux ne se quittent une seule seconde.
« Excusez-moi… Vous allez bien ?
Simon essaya de bredouiller une réponse, tâche impossible, et se contenta d’un hochement de tête. Elle tourna la tête vers l’extérieur. Les passants, les rues, le monde défilait le long du bus.
- Ce monde est parfois étouffant… J’ai parfois l’impression qu’on me plonge la tête dans l’eau, et que je ne fais que rechercher comment remonter à la surface…
- C’est exactement ce que je ressens !
Simon eut un sourire d’excuse. Il avait été lui-même surpris de la force avec laquelle il avait parlé. La femme lui rendit son sourire.
- Je m’appelle Séverine.
- Et moi, Simon.
- C’est la première fois que vous prenez ce bus, non ?
- Oui… J’ai un peu plus de mal à remonter à la surface que d’habitude…
Elle passa la main dans ses cheveux blonds… Simon fronça les sourcils.
- On ne se serait pas déjà vu ?
- Non… Non, je ne crois pas.
Elle paraissait surprise. Simon remarqua que le bus arrivait devant la banque.
- C’est ici que je descends.
- Moi aussi.
Ils descendirent l’un après l’autre, suivant la masse de travailleurs en quête de leur pain quotidien.
- Et vous, comment allez-vous ? Reprit Simon.
Elle grimaça légèrement.
- Pas très bien. Mais j’ai trouvé une solution.
- Vous m’intéressez.
Elle plongea la main dans son sac et la ressortit prudemment. Simon se figea. Elle tenait une arme.
- Qu’est-ce que… ?
- N’ayez pas peur ! C’est juste… Je n’ai pas l’intention de laisser le monde décider pour moi. Les gens ne se mettront pas en travers de mon chemin.
- Ne faites pas l’idiote… Vous feriez mieux de me donner ça.
Simon tendit la main vers le revolver. Séverine fronça les sourcils à son tour, comme si elle réfléchissait. Puis un grand sourire illumina son visage.
- D’accord.
Elle posa l’arme dans sa main. Simon la lança rapidement dans la poche de son imperméable.
- Je vous la rendrais dès que possible…
- Je ne m’en fais pas… A bientôt ! »
Simon était arrivé devant la banque. Curieuse rencontre. Il resta un instant immobile, la regardant s’éloigner, caressant nerveusement la crosse du revolver reposant dans sa poche.

Simon referma la porte de la sortie de secours avec soulagement, l’alarme de la banque résonnant encore à ses oreilles. Il avait réussi ! Il l’avait fait ! Et maintenant ? Il courut jusqu’au coin de la ruelle. Les gens marchaient, vaquant à leurs occupations sans se rendre compte du changement essentiel qui venait de se produire chez lui. Il avisa une poubelle, l’ouvrit, et y jeta son arme. Non… Trop évident... Il la récupéra et la remit dans sa poche.
« Le monde est comme une vaste serrure dont la réflexion humaine serait la clef » avait écrit Barrish. Tant pis pour lui ! Aujourd’hui, Simon faisait dans la spontanéité ! Il devait quitter cette vie qui l’avait si longtemps emprisonné. Faire ses bagages, et partir. Il se mit à courir.

V.

Vincent Proyas referma la porte dans un déclic à peine perceptible et se reposa contre elle une minute. Il était à bout de souffle, trempé de sueur.
Ça m’apprendra à rentrer en courant, se dit-il.
Il enleva sa veste et la jeta sur le porte-manteau. Il n’alluma pas une lumière et parcouru le salon dans le noir le plus total. Peu importe, il le connaissait comme sa poche. Sa main effleura la rampe de l’escalier, qu’il gravit sans le moindre bruit. Deux pas en avant, éviter de faire grincer le parquet, un pas sur la droite, la porte de la chambre. Il la poussa avec délicatesse et pénétra dans la pièce, qui baignait dans la lumière tamisée de la lampe de chevet. Sa femme l’avait encore attendu… Il faillit glisser. Son pied avait heurté une boîte de mouchoirs en papier.
Elle aura encore regardé une de ces stupides émissions de télé-réalité…
Il avait presque atteint la porte de la salle de bain lorsque son téléphone portable se mit à sonner bruyamment. Il le sortit maladroitement de sa poche et tâtonna le temps de deux sonneries avant d’arriver à répondre en murmurant :
« Oui ?
- Allo, Vincent ? C’est Thomas. Encore debout ?
- Exact.
- Ça tombe bien. Ça te dérangerait de me remplacer demain matin ?
- Pour surveiller le transfert de fond à la banque ?
- Oui… Ma femme est malade, il faut que je conduise mes gosses à l’école…
Vincent jeta un regard à son épouse. Elle se retourna dans le lit, mais elle semblait toujours profondément endormie.
- Ok, pas de problème, je m’en occuperais. Demain matin, à quelle heure ?
- Huit heures et demie. Je te revaudrais ça.
- Huit heures et demie ! C’est ça… A plus tard. »
Il raccrocha et entra enfin dans la salle de bain. Il déposa son portable sur le rebord du lavabo, retira ses vêtements et entra dans la douche. Il accueillit le flux d’eau chaude avec plaisir. Un sauvetage, une rencontre… Ce n’avait pas été une si mauvaise journée…
Tu es marié, lui murmura une voix dans sa tête.
Depuis bientôt cinq ans. Seulement. Et déjà, il ressentait les premiers symptômes du couple en perdition. Pourtant, il aimait toujours sa femme. Il aurait donné sa vie pour elle. Alors pourquoi ? Pourquoi ressentait-il le besoin d’aller voir ailleurs ?
Peut-être pour te rendre compte que tu as déjà tout ce que tu pourrais rechercher ?
Lui fallait-il une maîtresse pour qu’il se rende enfin compte que sa femme était la seule qui comptait pour lui ? Vincent sortit de la douche et se planta en face du miroir.
Et si c’était un passage obligé ?
Il se coucha, indécis, au côté de sa moitié. Déjà, inconsciemment lui venait la réponse. Mais ce ne serait pas sans danger.

VI.

« Attention, il est peut-être dangereux… Tu es sûr de vouloir y aller tout seul ?
- Ne t’inquiète pas, répondit Vincent. Il me connaît… ça devrait bien se passer.
- Et quand les renforts seront là ?
- Dis-leur d’encercler l’immeuble. On garde le contact radio. »
Vincent Proyas entra dans le bâtiment, son talkie-walkie dans une main, l’autre tenant fermement son arme de service. L’appartement était situé au rez-de-chaussée, première porte à gauche. Il s’avança et se planqua immédiatement contre le mur. La porte était entre-ouverte. Il était donc là.

Simon ressortit du placard, une lourde valise à la main. De quoi aurait-il besoin ? De quelques vêtements, de son nécessaire de toilette… Et ? Il réalisa soudain qu’il n’avait jamais accumulé d’objets auxquels vouer une quelconque affection. Ça allait changer. Pour l’instant, c’était mieux ainsi, il put réunir toutes les affaires dont il avait besoin en une dizaine de minutes. Il referma la valise sans aucune difficulté, se releva et essuya les quelques gouttes de sueur qui perlaient sur son front du revers de sa manche. Devait-il laisser un mot à sa femme ? Juste de quoi lui expliquer pourquoi il avait agit ainsi ?
« Lorsque la raison n’y suffit plus, le cœur vient à l’aide de l’homme pour lui fournir les réponses », disait Jules Barrish.
Simon marcha jusqu’à la cuisine, où il déposa sa valise et saisit un bloc-notes. Il chercha un stylo mais aucun n’était en vue. Il fouilla ses poches et sa main effleura le revolver. Il le sortit, lui jetant un regard perplexe. C’était avec ce stylo que sa vie avait été réécrite.

Vincent passa la porte, qui heureusement ne grinçait pas, et avança dans le salon. Des bruits de pas se firent entendre sur sa gauche, de ce qui semblait être la cuisine. Il s’immobilisa, sortit son talkie-walkie et le laissa émettre un bip discret, indiquant à son co-équipier qu’il venait de trouver le suspect. Il avança, dos au mur, jusqu’à la porte de la pièce. Les bruits avaient cessé.
« Simon ?
Un bruit de verre brisé lui parvint.
- Calmez-vous, Simon. Je suis Vincent Proyas. Vous vous souvenez de moi ?
- Mon sauveteur du port ? Murmura une voix troublée.
- Oui. Oui, c’est bien moi.
- Qu’est-ce que vous voulez ?
- Ne soyez pas nerveux, je veux juste vous parler…
- Montrez-vous !
Vincent devait agir vite. A chaque réplique qu’ils échangeaient, Simon semblait gagner en assurance. Il avança et passa sa tête dans l’embrasure de la porte, son arme pointée sur Simon. Celui-ci était debout, en plein milieu de la cuisine. Vincent arrêta son regard sur l’arme qu’il tenait fermement serré dans sa main droite.
- Simon, lâchez cette arme. La police encercle le bâtiment.
- Pourquoi ? Lâcha-t-il tremblant.
- La banque… Nous avons plusieurs témoins, Simon.
- Ils se trompent !
- Peut-être, répondit Vincent sans en croire un traître mot. Pour éclaircir tout ça, vous devez vous rendre. Vous nous expliquerez tout.
- Pour finir en prison ? Jamais !
- Simon… Vous ne pourrez pas vous enfuir. Cette porte et le seul moyen de sortir. »
Vincent disait vrai. Il lui barrait la seule issue. Simon ferma les yeux, et Vincent cru pendant une seconde qu’il avait gagné. Certitude qui vacilla l’instant d’après, lorsque Simon braqua l’arme sur lui et pressa la détente. Il s’écroula, à peine conscient, son sang se répandant sur le carrelage blanc de la cuisine. Ses yeux s’arrêtèrent sur l’arme que Simon venait de lâcher. Vincent laissa un sourire glisser sur son visage. Cette arme ne lui était pas inconnue.

VII.

Adeline était un peu en avance, il n’était que vingt et une heures trente. Il lui faudrait attendre une quinzaine de minutes. Elle décida de mettre ce temps à profit pour chercher un endroit sympa où passer la soirée. Elle remonta la rue pour enfin trouver un bar qui semblait posséder une ambiance correcte. Elle allait faire demi-tour pour retourner au point de rendez-vous lorsqu’une main se posa sur son épaule.
« Alors, on veut commencer la soirée sans moi ?
- Séverine ! Tu m’as fait une de ces peurs !
Celle-ci éclata de rire.
- Excuse-moi, je n’ai pas pu m’en empêcher. Qu’est-ce que tu faisais ?
- Je cherchais un endroit pour qu’on se pose… Ce bar, ça te va ?
Elle jeta un rapide regard, essayant d’apercevoir l’intérieur.
- Ça m’a l’air parfait.
Elles entrèrent, prirent place à une table en fond de salle et commandèrent deux cafés.
- Alors, qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ?
Séverine se pencha en arrière et posa la cigarette qu’elle venait d’allumer.
- Pas grand-chose. J’ai travaillé ce matin et j’ai fais quelques courses cette après-midi. Un tour à mon assurance, un autre à la banque… La routine.
- Et ton mari, comment va-t-il ?
- Toujours en train de courir ! On se voit de moins en moins ces temps-ci.
- Profites-en ! La liberté, c’est la seule chose dont on a vraiment besoin !
- Tu as eu des nouvelles de Seb ces derniers temps ?
Adeline perdit sa bonne humeur.
- Ouais. Il a trouvé quelqu’un à qui raconter ces malheurs.
- Déjà ?
- Hum… Les mecs, tu sais… Tiens, en parlant des loups, voilà le tien.
Séverine se retourna, surprise. Une surprise qui se transforma en choc lorsqu’elle vit que Vincent était accompagné.
- Qui c’est la fille avec lui ? Demanda Adeline, curieuse.
- Je ne sais pas, répondit Séverine d’un ton glacial.
La compréhension se répandit sur le visage d’Adeline.
- Oh, excuse-moi, je ne savais pas…
- Pas grave. Viens, on sort. »
Sans attendre son amie, Séverine sortit du bar, les yeux brûlants. Une fois dehors, elle s’appuya sur un poteau pour reprendre son souffle. Adeline la rejoint un instant plus tard.
- Séverine ! Ne t’affoles pas ! Ce n’est peut-être rien !
- Oui… Oui, tu as probablement raison. Je crois bien qu’il m’a parlé d’une collègue de travail…
- Ah, tu vois. Ça ne va pas nous gâcher la soirée…
- Je… Je crois qu’il faudra remettre ça à une autre fois… Je préfère rentrer pour l’instant.
- Tu es sûre ?
- Oui… On se téléphone. »
Elles se saluèrent et partirent chacune de leur côté. Bien entendu, Vincent ne lui avait jamais parlé d’une quelconque collègue… Séverine sentit les larmes perler sur ses joues. Elle tourna au coin d’une rue et s’arrêta dans une ruelle plongée dans la pénombre. Elle se mit à pleurer, sans pouvoir s’arrêter. Pourquoi ? Quelles erreurs avait-elle commis ?
Quelqu’un avait dit un jour que « des larmes provient le sel de la mer »… Un flot continuel de choses insignifiantes pouvait ainsi constituer un immense essentiel.
Séverine se reprit, sécha ses larmes. Elle se mit même à sourire. Peu importe ! Elle n’était même pas triste. Non. Elle était en colère.

© Jules (2004)